Elles s’appellent Fitch, Moody’s ou encore Standard & Poor’s. Elles, ce sont ces fameuses agences de notation qui, d’un coup de baguette magique, ou plutôt de stylo, ont quasiment le pouvoir de faire ou de défaire un Etat. Comment ? Simplement en abaissant sa note ! Forcément controversées, les agences de notation n’en demeurent pas moins mystérieuses pour le commun des mortels, l’occasion pour nous de lever le voile sur ce qu’elles sont et comment elles fonctionnent. Découverte !
Agence de notation : de quoi parle-t-on ?
Une agence de notation est une entreprise spécialisée dans l’évaluation de la santé financière d’autres entreprises ou d’entités publiques telles que des Etats, villes, départements ou régions. L’objectif principal de ces agences est d’analyser la capacité de l’entité à rembourser ses dettes, un critère d’une importance capitale pour les investisseurs.
Dans le détail, le processus d’évaluation implique que les analystes de l’agence élaborent différents scénarios et calculent la probabilité de réalisation de chacun, en se basant sur les flux financiers de l’entité évaluée. Pour ce faire, ils s’appuient souvent sur des données fournies par l’entreprise elle-même ou sur celles issues d’instituts de statistiques reconnus, comme Eurostat ou l’Insee en France. En plus des données financières, les agences de notation prennent en compte des facteurs plus larges, tels que le contexte social et politique du pays. Par exemple, Fitch, dans sa note d’avril dernier, a mentionné les « pressions sociales et politiques illustrées par les manifestations contre la réforme des retraites » en France comme un élément d’analyse.
Le résultat de cette évaluation est un score, généralement présenté sous forme de lettres. L’échelle va de AAA, indiquant une excellente solvabilité, à D, signifiant une situation de faillite. Pour sa part, Moody’s utilise une échelle légèrement différente, s’arrêtant à C.
Standard & Poor’s, Fitch et Moody’s : le trio de tête des agences de notation
On les appelle, à juste titre, le « Big Three », formant le trio de tête des agences de notation mondiales. En effet, Standard & Poor’s, Fitch et Moody’s, toutes trois américaines, s’accaparent une large part du marché mondial de la notation : en 2022, elles contrôlaient pas moins de 93 % du marché au sein de l’Union européenne. Et malgré les encouragements de l’Autorité européenne des marchés financiers à diversifier les choix en faveur d’autres agences accréditées, la domination de ces trois mastodontes reste incontestée ! En France, par exemple, les entités publiques qui ont sollicité des notations financières depuis 2017 n’ont pas dérogé à cette tendance, se tournant systématiquement vers l’une de ces trois agences.
Fitch, l’un des membres des « Big Three », était jusqu’en 2018 partiellement français. Il appartenait alors à Fimalac, dirigé par le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, avant d’être vendu au groupe de médias américain Hearst Corporation. Ses concurrents, S&P Global et Moody’s Corporation, sont également des poids lourds du secteur de l’information économique. Moody’s Corporation, partiellement détenu par le célèbre milliardaire Warren Buffett, et S&P Global sont des entreprises cotées en Bourse, ce qui les oblige naturellement à un devoir de transparence financière. Il est intéressant ici de noter que ces deux entités ont vu leur chiffre d’affaires plus que doubler au cours des dix dernières années, malgré une diminution du nombre de notations effectuées.
Dégradation de la notation : qu’est-ce que cela implique ?
La question que l’on se pose ici est la suivante : quelles sont les conséquences d’une dégradation de la notation d’une entreprise ou d’un Etat, comme cela a récemment été le cas pour la note américaine par Fitch ? Eh bien il faut savoir que lorsqu’une agence de notation abaisse la note d’une entité, cela a un impact direct et significatif sur les conditions d’emprunt de l’entité concernée. Dans un marché financier où les repères objectifs sont rares, cette note, bien qu’indicative, influence fortement les décisions – elle est même essentielle dans la gestion de grands comptes.
A ce propos, un spécialiste de BNP Paribas a illustré cette réalité lors d’une enquête du Sénat datant de 2012, expliquant que « Tous les clients professionnels, du fonds de pension nordique à la banque centrale asiatique, qui ont des années de réserves devant eux, ont fixé leurs règles de gestion en fonction du rating [notation] : pas de limite pour le triple A, limite pour le double A, pas plus de 5 % pour le A, interdiction ensuite ». Sans surprise, chaque variation de note est scrutée par les acteurs du marché, car elle détermine la capacité d’un Etat, d’une collectivité ou d’une entreprise à emprunter et à quel taux. L’exemple le plus parlant à ce niveau est celui de 2009, lorsque les agences de notation ont drastiquement abaissé les notes des crédits hypothécaires à risque (subprimes), entraînant une chute de leur valeur sur les marchés et la faillite de plusieurs fonds d’investissement.
La crise des dettes européennes a également mis en lumière l’impact majeur des agences de notation. Comme le soulignait Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France en 2012, la dégradation des notes des pays du sud de l’Europe en catégories à haut risque a créé un effet boule de neige. Ces notations pessimistes ont augmenté les primes de risque et les taux d’intérêt, compliquant davantage l’équilibre budgétaire et rendant la gestion de la dette plus difficile.
Zoom sur le modèle économique des agences de notation : comment sont-elles rémunérées ?
D’emblée, il faut savoir que les agences de notation ont radicalement modifié leur modèle économique depuis les années 1970. Auparavant financées par les utilisateurs finaux de leurs notes, principalement les banques soucieuses d’investir en toute sécurité, elles sont désormais rémunérées directement par les entités qu’elles évaluent, qu’elles soient publiques ou privées. Autrement dit, l’objet d’étude des agences de notation est également leur client.
Cela dit, certaines notations demeurent gratuites, notamment pour les pays les plus riches. Ces notations, dites « non sollicitées », sont essentielles pour établir des références de marché. En France, l’Agence France Trésor, qui gère la dette française, bénéficie de ce type de notation gratuite. En parallèle, d’autres entités publiques, notamment les régions, les départements, les villes ou les hôpitaux, peuvent demander une évaluation afin de lever des capitaux sur le marché de la dette. Par exemple, la Ville de Paris a prévu un budget de près d’un million d’euros sur quatre ans pour sa notation et le suivi de sa qualité de crédit. La dégradation de la note française a d’ailleurs entraîné, le 9 mai dernier, une baisse de la note de la Ville de Paris et de onze autres collectivités territoriales à AA −.
Dans le secteur privé, de plus en plus d’entreprises sollicitent également une notation, avec une augmentation de 20 % en dix ans. Les tarifs des agences varient, mais selon plusieurs sources, la notation d’une PME coûterait plusieurs dizaines de milliers d’euros, tandis qu’une grande banque ou une maison d’assurance majeure pourrait débourser jusqu’à un million d’euros. Revers de la médaille : le segment autrefois prospère des produits de spéculation complexes comme les subprimes a nettement diminué depuis la crise financière de 2009, déclenchée par l’éclatement de la bulle immobilière américaine.